À l’heure où l’univers de la trésorerie est chamboulé, les journées de l’AFTE qui ont eu lieu le 24 novembre 2020 rassemblaient les professionnels du secteur dans un format virtuel inédit. Ces derniers ont évoqué et débattu autour de sujets d’actualité qui touchent les équipes Finance des grandes entreprises françaises telles que la conformité et la Loi Sapin. Trustpair vous propose de revenir sur certaines conférences de cette journée dans une série de 3 articles. Dans ce compte-rendu, nous intéressons aux enjeux du télétravail et du digital pour les entreprises et la fonction Trésorerie :
Télétravail, défis humains et digitaux
Etaient présents lors de cette conférence :
- David Guyot, associé gérant, Pandat (Modérateur)
- Cyril Merkel, président de la commission » Placements « , AFTE (Modérateur)
- Francine Royer-Cailleaux, directeur Financement, Trésorerie, Crédit Management, Ipsen (Modérateur)
- Thierry Auger, chief information security officer and deputy CIO, Groupe Lagardère
- Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom
- Isabelle Goupil Fourcy, responsable du front office, Vinci SA
La crise de la COVID a imposé le télétravail à toutes les entreprises françaises. Cela a été vécu comme un moment de sidération par les trésoriers. Des questions basiques en ont découlé : ai-je un ordinateur portable ? Ai-je une imprimante ? Mon responsable me fait-il confiance ?
Le télétravail est-il configuré pour le monde de demain ?
Isabelle Goupil Fourcy, responsable du front office, Vinci SA :
Du jour au lendemain, la trésorerie ainsi que tous les départements de l’entreprise ont basculé en mode confinement. Jusqu’à la veille du confinement, les équipes étaient peu préparées à travailler à distance. Même si de nombreuses entreprises travaillaient sur un PCA. Ce n’était pas envisageable que la trésorerie puisse assurer ses missions à distance. Pourquoi ? Car la plupart des missions sont sédentaires, nécessitent des appareils spécifiques, et le travail en open space permet de fluidifier les échanges.
Le 16 mars, on était encore en train de faire des tests téléphoniques pour basculer sur mobile. On se préparait à télétravailler sous forme de roulement. Mais on a finalement dû partir avec nos écrans et cartons sous les bras : une situation inédite !
A ce moment, ce fut comme une sensation de grand saut dans le vide. Les collaborateurs ont été embarqués dans quelque chose qui nous dépassait. Toutes les questions se bousculaient :
- Est-ce que cela va fonctionner ?
- Quelle est la capacité du réseau ?
- Comment gérer l’aspect émotionnel des équipes ?
- Comment assurer la cohésion d’une équipe à distance ?
A l’époque, notre groupe s’inscrivait déjà dans une démarche de changement et la DSI impulsait une dynamique depuis quelques mois. Matériel nomade, déploiement des téléphones portables, outils collaboratifs : ils ont été vraiment visionnaires, car ces outils ont montré leur efficacité pendant le confinement. Sans ces anticipations de leur part, les équipes auraient fonctionné en mode dégradé pendant plusieurs mois. Au départ, l’adhésion fut très lente, mais on peut dire que le confinement a fait l’objet d’un bond en avant immense.
Thierry Auger, chief information security officer and deputy CIO, Groupe Lagardère :
Le sujet du télétravail a été une priorité pour les premiers jours de mars : analyser l’écosystème déployé, évaluer la maturité existante. Comment s’assurer que l’ensemble des collaborateurs sortis du périmètre du réseau local d’entreprise peuvent être en capacité d’assurer le service ? Lorsque les entreprises ont été sondées, on s’est vite aperçu qu’il y avait ¼ des populations qui étaient prêtes (capacités nomades) , ¼ qui avait de la technologie mais que cette dernière n’était pas correctement dimensionnée. 50% des entreprises restantes étaient en urgence totale et n’avaient pas le moyen de déployer de la technologie rapidement.
Qu’est-ce qu’il a fallu faire ? En considérant les métiers de l’organisation, la question que l’on s’est posée était la suivante : comment s’organiser avec tous les utilisateurs pour leur indiquer les bonnes recommandations pour déployer un dispositif rapidement ? Cela implique de mettre à disposition des postes pour tous : ceux qui étaient équipés de postes fixes ont pu partir avec, d’autres populations plus adaptées ont pu partir avec des ordinateurs portables. Il a fallu trouver rapidement de la technologie pour utiliser les équipements et licences à domicile en toute sécurité.
Quelles ont été les véritables difficultés rencontrées ?
- Se synchroniser avec les utilisateurs
- Trouver de la capacité sur le marché
- Sortir du cocon de l’entreprise : diagnostiquer de bout en bout pour intervenir raisonnablement.
Sur les premiers jours, 20% de l’écosystème IT répondait et était capable de s’organiser. 80% ont eu du mal à mettre en place leurs moyens eux-mêmes.
Isabelle Goupil Fourcy, responsable du front office, Vinci SA :
Effectivement, le moment de sidération passé, la première étape a été de se reconnecter avec la technique et s’assurer de pouvoir opérer. La deuxième étape : prendre contact avec l’équipe et tenter de percevoir l’état émotionnel de chacun :
- Le télétravail va-t-il être gérable ?
- Le salarié peut-il travailler dans de bonnes conditions ?
- L’installation informatique est-elle suffisamment performante ?
Les interrogations furent nombreuses. Le plus important est de se dire qu’on va faire ce qu’on peut dans ce genre de situation hors norme !
Selon moi, ce qui était primordial était de garder le lien au maximum malgré une grande partie des activités à l’arrêt. Dans notre métier de trésorerie, il fallait assurer la liquidité avec un marché à court terme totalement fermé. Il a fallu se mettre en action : chacun a envie de se rendre utile, donner le meilleur de soi. La mobilisation des forces pour passer ce cap difficile a été un catalyseur pour s’adapter.
Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom :
Au sein des entreprises, la capacité du collectif à se mettre en mouvement pour s’adapter a été incroyable. Dans la douleur pour certains, cela a nécessité beaucoup de travail. Ces situations ont généré une force d’adaptation et mirent l’accent sur la responsabilisation et le niveau d’engagement des collaborateurs. A ce moment-là, tout ce qu’on a construit dans l’entreprise se révèle. Au sujet du télétravail, ce que ça nous a tous permis de constater : c’est que ça fonctionne. Cette période de premier confinement a permis de confirmer qu’on peut associer performance, professionnelle et bien-être personnel. Ça ouvre des possibilités de reprendre la maîtrise de son temps, de rééquilibrer les sphères. D’un point de vue global : la capacité d’adaptation a été incroyable au sein d’Atom et a eu un côté révélateur de certaines personnes dans l’entreprise.
Finalement, est ce qu’on n’a pas attendu la crise pour faire un pas en avant sur le digital ?
Thierry Auger, chief information security officer and deputy CIO, Groupe Lagardère :
Clairement, il y a ceux qui avaient anticipé et déjà commencé à travailler autour des techniques de cloud computing (messagerie, partage de données, outils de collaboration). Beaucoup d’entreprises étaient dans le flux, mais n’avaient pas mis plus d’énergie que ça dans le déploiement. Elles se sont dépêchées de faire les formations et de mettre en œuvre certains processus. Ça a été quelque chose de vital et permet de gérer une continuité.
Reste le groupe des entreprises qui étaient restées sur des moyens traditionnels, parce que parfois, on a des réglementations particulières à gérer. Ça a été un accélérateur, certes. Mais certains processus de l’entreprise restent assez traditionnels et pas adaptés au télétravail. Par exemple, un circuit de validation autour de contrats juridiques qui doit passer de main en main, être imprimé, signé, scanné : cela a été un enfer pour la plupart des professionnels, de nombreuses requêtes émanaient autour de ce sujet.
La crise permet de réfléchir : comment faire évoluer les choses et que mettre en œuvre pour la suite dans le cadre de projets informatiques 2021 et 2022 ?
Le télétravail : peu présent dans les Directions Trésorerie ?
Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom :
On entend beaucoup parler du sujet de la confiance. Des entreprises ont rapidement choisi de faire du télétravail pendant plusieurs mois. Ce que révèle ce deuxième confinement : c’est à ce moment – là que les problématiques sont apparues. On découvre qu’il n’y aura pas de vie normale tout de suite. Il va falloir s’organiser différemment. Ce qui n’a pas été anticipé : les problématiques reviennent au manager. Quelle difficulté pour un manager ? Faire confiance aux collaborateurs, fixer des objectifs clairs, et avoir une certaine capacité d’accompagner même à distance.
Télétravail : quels sont les enjeux et défis des prochains mois ?
Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom :
Les vrais défis vont se jouer autour de l’IT des entreprises, mais surtout autour des sujets humains. Comment garder une adhésion à l’entreprise lorsqu’on vit dans une société d’indépendants ? Il faut trouver des solutions pour les faire vivre différemment. Il y a probablement un équilibre à trouver pour préserver cette culture d’entreprise. Cependant, les motivations principales des salariés restent le plaisir à retrouver ses collègues au travail, vivre une culture d’entreprise en collectif, en département, en service. C’est sur ces sujets qu’il va falloir trouver des solutions dans les prochaines années.
Cybercriminalité : sommes-nous bien formés et informés sur ce sujet ?
Thierry Auger, chief information security officer and deputy CIO, Groupe Lagardère :
Pendant la période du confinement, on a observé une hausse de 30 000% des contenus malveillants qui circulaient. Face à une telle volumétrie, clairement on se rend compte qu’il y a un vrai souci qu’il faut associer. Toutes les technologies ont été rapidement ouvertes en direct sur internet. Pourquoi ? Car quand on a besoin de bande passante avec une bonne qualité, on a tendance à outrepasser les règles de sécurité en pensant aux utilisateurs finaux.
Cependant, l’utilisateur final est la personne qui va être sollicitée par cet écosystème de hackers, et il faut s’organiser pour que ça puisse fonctionner. “Il fallait dire aux collaborateurs que la RH qui les appelait, n’était pas forcément la RH…” Les hackers se réinventent et comprennent rapidement que recréer un site web prend quelques heures et se faire passer pour des RH. Lorsqu’on est face à des gens qui vont demander des logins comme si c’était un système d’entreprise…. On a eu beaucoup d’incidents.
On a fait face à beaucoup de cryptolockers / ransomware car les hackers savent que ça rapporte. Ils chiffrent les données pendant la nuit, puis vont vous demander des rançons. Si vous n’avez pas fait ce qu’il fallait en terme de sauvegarde, vous n’avez plus rien pour repartir, et donc les paiements sont réalisés. Donc oui, les utilisateurs sont sensibilisés, mais est-ce que cela suffit ? Il faut de la technologie, des outils capables de s’assurer que ce qui se passe est bien objet d’actions qui doivent être réalisées et ne sont pas des actions menées par des acteurs malveillants. C’est compliqué. Ces prochains mois, il faudra s’occuper de ce sujet !
Le télétravail va-t-il devenir notre quotidien du futur ?
Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom :
Il y aura un avant et un après : il est difficile d’imaginer qu’on va retourner à 100% en physique. Encore une fois, cette situation va durer avant que tout le monde puisse retrouver une vie normale : il y a un temps d’adaptation qui est nécessaire. Prendre des décisions trop rapides sur l’organisation du travail est peut-être un peu trop tôt : il faut trouver un juste équilibre pour chaque entreprise. Le télétravail ne correspond pas à toutes les entreprises et toutes les personnes. C’est compliqué de trancher une décision quand on a des centaines de milliers de collaborateurs.
Thierry Auger, chief information security officer and deputy CIO, Groupe Lagardère :
Concernant les DSI et la technologie, il faut franchir un pas énorme. On s’est beaucoup appuyé sur les technologies de cloud computing. Cela va perdurer : à nous de l’organiser correctement et faire en sorte que cela puisse fonctionner. Les GAFAM ont démontré la capacité d’apporter cette qualité de service de bout en bout n’ayant aucun impact sur l’utilisateur final. A nous tous de faire les efforts pour assurer les services bout en bout : qu’une application comptable soit accessible tout le temps pour ne pas fatiguer l’individu.
Isabelle Goupil Fourcy, responsable du front office, Vinci SA :
Cette expérience de télétravail nous a conduit à nous dépasser, et à faire sauter des réticences au télétravail. Les nouveaux échanges fonctionnent, on est très content de se retrouver au bureau, le télétravail quelques jours par mois peut être une solution pour consolider la confiance et apporter du bien-être sur la base d’un accord employeur et employé.
Namia Benmansour-Herpin, fondatrice, Atom :
Le télétravail fera la différence entre mes nouveaux collaborateurs et les personnes déjà là. Dans la plupart des cas, le télétravail sera un critère de choix pour les futurs employeurs et un axe différenciant pour la marque employeur des entreprises. Expliquer que le télétravail n’est pas possible à quelqu’un qui a vécu ces moments-là de manière forte et qui est rompu aux outils digitaux, pourra être un frein au recrutement !
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